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Je suis Noir et je ne le savais pas...

Bien sûr, j'ai toujours vécu dans ce corps, recouvert de cette peau noire qui m'accompagne depuis mes premiers vagissements. Comment en pourrait-il être autrement? Mes parents sont noirs, les leurs l'étaient, ainsi que les parents de leurs parents et ce sur autant de générations que je ne saurais compter ni identifier.

Bien sûr, je suis né au Cameroun, à Bafoussam, ai grandi à Douala et vécu à Buea, au milieu de camerounais, mais pas que. Quelques nigérians, congolais, centrafricains, équato-guinéens et autres. Tous aussi noirs les uns que les autres. Ma famille est noire. Mes amis jusqu'à il y a quelques années seulement, n'étaient pas majoritairement noirs, ils étaient tous noirs.

Bien sûr, j'ai lu Césaire, Hampâte Ba, Anta Diop, Brink, Béti et bien d'autres. J'ai eu grâce à eux une idée de ce qu'était la représentation de la peau noire, de ce que pouvait être la vie d'un homme ou d'une femme noire.

Bien sûr j'ai vu Amistad, Sarafina, Kunta Kinté, Malcolm X et bien d'autres. Ils m'ont raconté des histoires sur des Noirs venus avant moi, sur ce qu'ils avaient vécu et comment ils avaient été traités.

Bien sûr pendant vingt deux années j'ai vu, vécu et su tout ça. Une chose pourtant est sûre, c'est que malgré tout cela, je n'ai pleinement su que j'étais noir que dans le regard des autres, de ceux qui ne me ressemblent pas, dans le regard d'hommes et femmes blancs.


@Crédits photos. Tribu Swiss


31 août 2009, je foule le sol français, Paris, Roissy Charles de Gaulle. Je suis je ne peux le cacher, content d'être là, moi qui avais tant envie de partir de mon Cameroun natal, pour mille et une raisons. Je suis donc là, en France, à Paris. Quelques jours plus tard, me voilà parti à Strasbourg, je découvre l'Alsace. Cette Alsace dont j'ai tant entendu parler dans mes cours d'histoire de 4e par le biais de Mme Ndjandjo, faisant référence à l'Alsace-Lorraine. Et quelques jours après ça, je me retrouve entre Nancy et Metz, en Lorraine. L'Alsace-Lorraine est donc bouclée. Dix années ont passé et je suis à Paris. J'ai fait des rencontres, vécu des histoires, certaines drôles, d'autres moins, mais quelques unes, plus que je ne l'aurais souhaité, enrageantes.


Je ne vais pas faire l'était des lieux de dix années passées sur cette terre sur laquelle je ne suis pas né et dont je ne suis pas originaire. J'ai eu envie par ces quelques lignes, de conter une partie de mon expérience d'homme Noir dans un pays majoritairement blanc.


Si vous ne m'entendrez pas dire que la France est un pays raciste car je ne pense fondamentalement pas que 66 millions de personnes le soient, vous ne m'entendrez non plus dire que je n'ai jamais fait face au racisme, que je n'ai jamais été discriminé, qu'à plusieurs occasions je ne me suis jamais senti étranger (je donne ici à ce terme tout le péjoratif que le regard et l'attitude des autres y incluent). Des anecdotes, si tant est que ce soit le bon mot, il y en a.


Ce vendeur ou responsable d'un magasin de vêtements à Nancy, qui m'a dès que j'ai franchi la porte de celui-ci, lancé un regard dédaigneux et a créé en moi un désagrément et une gène immenses, ce qui s'est confirmé dès que j'ai osé lui tendre un CV en lui disant que j'étais étudiant et à la recherche d'un emploi. Comment interpréter un regard et savoir faire la différence, jauger justement ce qu'il contient et signifie? On le sait juste, tout simplement. On le sent au plus profond de son être et on a son intuition, ses sens qui disent : "tu ne te trompes pas. C'est bien de ça dont il s'agit".


Cette dame d'un certain âge accompagnée de son petit-fils, un jour d'été en août 2010, qui à la sortie du parc des Buttes Chaumont, après un superbe pique-nique avec des amis, tous noirs, qui nous a lancé: "c'est bien ça les noirs, toujours à salir la France". Et pourquoi? Parce que nous avions eu le malheur de poser quelques instants les sacs-poubelles qui chargeaient nos bras, le temps de les mettre dans une benne plus loin. Rassurez-vous, nous ne les avions pas abandonnés. Simplement, nous avions du mal à nous dire au-revoir et prenions le temps de "taper quelques divers", avant de nous quitter. La sentence est tombée: nous les noirs, sommes là pour salir la France. Comme c'est beau et poétique!


Ce jour de 2014 où dans un magasin de vêtements, j'ai été suivi tout le long par un vigile, qui à ma sortie, a insisté pour ouvrir mon sac à dos et vérifier que je n'avais rien pris. Sac à dos que je n'avais pas enlevé pendant l'entièreté de mon passage dans le magasin. J'ai refusé. Fermement. Le responsable est intervenu. Un autre vigile. La sécurité du centre commercial. J'ai dit non. Je n'ouvrirai pas mon sac car je n'ai rien à me reprocher et rien pris. J'avais à peine touché quelques vêtements. Je leur ai clairement dit que c'était du profilage racial. Le responsable du magasin a rougi, me disant que c'est juste la procédure. Je lui ai demandé pourquoi aucune des filles et femmes blanches qui sortaient du magasin, sans avoir rien acheté, n'avaient pas leurs sacs fouillés également? Il n'a pas su me répondre. Cela a duré de longues minutes. Une heure? Probablement moins. Mais dans mon corps et mon esprit c'était long. Car je brûlais. De colère. De tristesse. De dégoût pour tous ces gens qui m'entouraient et faisaient de moi un coupable qui n'avait pourtant posé aucun délit.


Cette dame qui dès mon arrivée à un entretien d'embauche, a eu le visage totalement décomposé de voir que... j'étais noir. La pauvre! J'ai senti l'apoplexie chez elle. L'entretien a duré... Une dizaine de minutes. Et je suis gentil. J'étais parti de Clichy pour Sèvres. Tout ça pour ça. Dieu sait que j'en ai passé des entretiens. Jamais je n'ai ressenti ça. Jamais je ne me suis plains de n'avoir pas été choisi à cause de ma couleur de peau. Jamais. Mais cette fois-là, c'était l'exception. Cédric Bengue, ça sonne apparemment très français. C'est vrai que beaucoup de français en prononçant mon nom disent "BANGUE". Je ne sais pas d'où ça leur vient. Ce nom Sawa, tiendrait-il ses origines de la Franche-Comté? De la région Midi-Pyrénées? Ou de la Bretagne? Qui sait? Une chose est sûre, cette expérience, je ne l'oublierai pas.


Cette fois où dans le métro j'ai du intervenir et m'emparer d'une bataille, qui n'était pas directement la mienne, mais que je ne pouvais laisser passer. Cette dame blanche, qui parce que le métro était bondé, Ligne 13, station Saint-Lazare, (amis parisiens, vous savez de quoi je parle), a dit à une autre, une dame d'origine maghrébine qui se faufilait tant bien que mal avec sa poussette, qu'elle n'était pas chez elle en France, et qu'elle devait retourner chez elle en Afrique. J'ai vu rouge. La dame également. La remontée de bretelles était sévère. Et ça je sais y faire. Elle remuera je l'espère 17 fois sa langue la prochaine fois qu'elle voudra proférer ces paroles-poubelles. Pourquoi est-ce que j'ai réagi? Parce que si elle le lui a dit, elle peut me le dire aussi. En quoi est ce que je suis différent, si ce n'est qu'elle ne considère que tous ceux qui n'ont pas la peau blanche sont totalement différents d'elle? Je ne le suis pas. Cette insulte, parce que c'en était une, était destinée à tous ceux qui ne sont pas français et blancs. Pas juste français. Français et blancs. Je refuse, et ça j'en fait une devise personnelle, de rester impassible face aux injustices que d'autres subissent, parce que je ne suis pas directement impliqué au moment où celles-ci se produisent. Aujourd'hui c'est toi, demain ce sera moi. Une fois, est une fois de trop.


Je ne sais pas s'il est nécessaire que je continue. Que je donne d'autres exemples. Ceux d'amis qui ont vécu des situations tout aussi blessantes. Je ne pense pas. Non parce que je n'ai pas d'autres exemples, mais parce que ceux-là illustrent déjà bien assez ce que je pointe. Il nous est souvent reproché à nous les noirs, de nous "victimiser". Je n'ai pas besoin de dire de qui vient ce reproche. Je me souviens d'une soirée entre potes, à Paris, il y a deux ans environ, un ami, blanc, alors qu'on parlait de racisme et de discrimination en France, nous sort (nous sommes trois noirs dans la pièce): "voyons, est-ce que vous vous faites discriminer en France? Je ne pense pas que ce soit aussi grave que ça". Mon sang n'a fait qu'un tour. Un. J'ai du lui remettre un peu les idées en place. J'ai également du faire preuve de maîtrise car mes mots auraient pu être violents. Je ne suis pas sûr que ça aurait aidé, mais ça m'aurait fait du bien.


Je suis Noir et maintenant je le savais, mais maintenant j'en ai pleinement conscience. Il m'a fallu un long séjour hors de ma zone de confort, de ce que j'ai toujours connu, de mon environnement familier, pour me rendre compte combien d'autres qui n'ont pas comme moi autant de mélanine, peuvent nous faire comprendre combien cette différence de couleur compte. Combien elle est importante aux yeux de nombreuses personnes, combien elle peut également être dévastatrice et blessante. Je ne regrette pas ces expériences. Je ne regrette pas d'avoir été soumis aux injures et aux bassesses. Je n'en suis pas mort et je n'en mourrai pas. Cela en dit plus long sur ces gens que sur moi. Ce que j'en retiens, si j'étais déjà de par mes nombreuses lectures et expériences, vécues à travers les lignes d'auteurs que j'ai cités plus haut, fier de ma couleur de peau, je ne l'en ai que plus aimée à chacune des blessures subies à cause de son éclat. Et je sais que je ne suis pas le seul.



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