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Dépasser le tabou de la santé mentale chez les Africains.

Dernière mise à jour : 8 févr. 2022

Je commence ce texte avec une véritable lourdeur et un poids intense, qui tous les deux m'empêchent un peu de voir clair. Lourdeur parce que le sujet dont je veux parler, la santé mentale chez les Noirs, est évidemment important et crucial, et il est aussi urgent que nous soyons francs et ouverts sur ledit sujet. Un poids parce qu'au fur et à mesure que le temps passe, j'ouvre les yeux sur ce qui m'entoure et sur ceux qui m'entourent, et je me rends compte que bien qu'étant au centre de tout cela, j'ai eu de la peine jusque là à réaliser que de nombreuses personnes dont je suis proche ou pas, souffrent en silence et n'arrivent pas à avancer ou le font à petits pas. Je me rends aussi compte que le monde qui nous entoure n'est pas tendre envers nous, loin de là: il est impitoyable. Et les choses ne semblent pas s'arranger. Mes yeux s'ouvrent et mon esprit aussi. Je deviens de plus en plus conscient que le mal dans notre société est profond, que nous n'avons collectivement que trop négligé la santé mentale, notre santé mentale. Je suis coupable comme la plupart d'entre nous d'avoir été ignorant, d'avoir fermé les yeux, d'avoir fait semblant de ne pas voir. Je suis coupable de n'avoir pas su quoi faire, quoi dire quand il le fallait. De n'avoir pas su apporter les mots, n'avoir pas su poser les actes nécessaires et ô combien utiles pour rassurer, aider et aimer ceux qui souffrent. Je suis coupable. Et nous le sommes tous. Et il faut que ça change.


Comme beaucoup d'entre vous qui liront ce texte, je suis Africain et Noir de naissance. J'ai grandi en Afrique et n'ai quitté ma terre qu'au début de l'âge adulte. C'est dire que j'ai été façonné par l'Afrique, précisément le Cameroun, d'où je viens. Avant de continuer, je souhaite dire que l'Afrique n'est pas une terre monolithe et que les dizaines de pays et les centaines de millions de gens qui la constituent, ne sont pas une entité unique et indissociable. Je tiens à le préciser. Cela est fait et dit, je continue donc.

Avoir grandi dans le cadre que j'ai connu ne m'a pas ouvert les yeux sur ce qu'est la santé mentale ou son importance. Je n'ai jamais eu de repères clairs sur ce que cela représentait et sur la place capitale qu'une stabilité mentale pouvait jouer sur le bien-être des personnes qui m'entouraient. Nous prenons pour acquis le fait d'aller bien. De rire, de pleurer seulement quand on est un peu triste ou avons mal suite à une blessure physique. Nous prenons pour acquis le fait de grandir dans des familles à peu près normales, dans un cadre bien défini du moins, pour les plus chanceux d'entre nous. Nous prenons pour acquis le fait d'aller bien. Mais allons-nous vraiment bien? Du moins, pouvons-nous dire que collectivement, nous allons bien? J'en doute.


Les lignes du paragraphe précédent commençaient par mes origines et celles de nombreux de mes lecteurs. Cela était pour une raison particulière: d'où je viens, la santé mentale n'a pas d'importance et elle n'est la priorité de presque personne. Certains pourront me dire que je me trompe. Peut-être. Mais je ne le pense pas. Et je les mets au défi de me prouver le contraire. Nous ne nous soucions pas de l'équilibre psychologique des uns et des autres. Nous ne faisons même pas attention au nôtre. Qui n'a pas grandi en entendant, lorsqu'était mentionné une personne atteinte de troubles mentaux: "c'est un fou, c'est une folle". Et basta. Nous l'avons tous entendu à maintes reprises et cela continue. On relègue au rang de folie ce qu'on ne comprend pas ou qu'on n'essaye même pas d'analyser. Soyons clairs: je ne suis pas un spécialiste sur ce sujet, loin de là. Et mes mots ne sont pas paroles d'évangile. Je n'ai aucun diplôme, aucune certification sur le sujet. Je suis juste un homme qui désormais essaie de prendre le temps de faire attention à ce qui l'entoure et qui a décidé d'être présent pour ceux qui en ont besoin, autant que cela se pourra.


Collectivement, nous nous moquons de quiconque montre un signe de "défaillance" - pardonnez l'usage de ce mot - et nous qualifions cette personne de faible. La faiblesse ou la folie, sont les deux choix qui nous sont donnés, et que nous continuons malheureusement à perpétuer. La faiblesse vient avec un autre stigma: c'est une maladie de blanc. Pire, ce sont les choses des Blancs. On passe rapidement de maladie à chose... c'est dire le dédain et le mépris que nous avons pour le sujet. La folie elle, a sa cohorte de conséquences: cela passe par un rejet quasi total par la société (famille, amis...) et conduit à un isolement profond. Cela se traduit souvent par une "mise aux arrêts" de la personne considérée folle, qui est enchainée au sens propre et reléguée au rang d'animal. Tout ceci lorsque ça ne se termine pas par un abandon total et une vie d'errance. Nous croisons tous les jours dans les rues, ces "fous et folles" qu'enfants souvent nous provoquions, et qu'adultes nous évitons soit comme la peste, ou ne faisons simplement pas attention car ils ne représentent rien dans la société. Cela conduit également à des recours tout aussi inefficaces les uns que les autres: séjours chez des charlatans qui promettent aux familles souvent désespérées, le miracle par une science traditionnelle dont eux seuls auraient le secret, ou encore séances d'exorcisme et d'intenses prières par d'autres formes de charlatans, des faux pasteurs ou apôtres comme certains se plaisent à se faire appeler, qui usent et abusent de la faiblesse et de la crédulité de leurs "clients", en leur faisant miroiter une guérison qui n'arrivera jamais. Deux mots: faiblesse et folie. Mais des conséquences énormes.


@ credit image BBC Afrique


Il est également tout à fait inquiétant et déplorable de voir à quel point la santé mentale n'est pas une priorité pour les gouvernements africains. 1% serait la portion accordée à la santé mentale, selon l'Organisation Mondiale de la Santé, par les pays à revenus faibles et intermédiaires dans leur budget de Santé. Il y aurait environ 10% de la population africaine qui serait affectée par des troubles mentaux et on compterait un psychiatre pour 500.000 habitants, alors qu'il est préconisé d'en avoir un pour 5000 habitants. Ceci est bien troublant. L'Association des Psychiatres du Nigéria compte 250 psychiatres pour un pays qui frôle les 200.000.000 d'habitants. On dénombrerait un seul hôpital psychiatrique en Sierra Leone, celui de Kissy, avec un seul psychiatre formé, assisté par des infirmières. Au Libéria, où on chiffrerait à plus de 400,000 le nombre de personnes atteintes de troubles mentaux, il n'y a qu'un seul hôpital spécialisé, E. S. Grant Mental Health Hospital, et un seul psychiatre en exercice, le Dr. Benjamin Harris. Certains pays font un peu mieux, tel que le Kenya, qui dispose de 80 psychiatres dans le pays. Néanmoins, l'accès à ces derniers reste un frein car majoritairement concentrés dans la capitale. Les personnes en zone rurale sont donc en souffrance. L'OMS a estimé en 2012, le taux de suicide en Afrique, à 11,4 pour 100.000 habitants, ce qui serait proche de la moyenne mondiale. Ces chiffres sont alarmants et nous sommes tous concernés.


Nous nous devons d'écouter et nous avons l'obligation de faire attention à ceux qui nous entourent. Pourquoi ce papier? Parce que je vois des gens en souffrance. Je suis interpelé et si la manière dont j'y réponds c'est par ces quelques mots, alors soit. Je ne peux rester silencieux aux cris et aux pleurs de cet ami très proche qui va de plus en plus mal et dont la douleur est immense et dure dans le temps. En tant qu'ami, j'écoute, je fais de mon mieux pour lui montrer qu'il n'est pas seul et qu'il a au moins mon oreille pour l'écouter et mon épaule pour recueillir ses larmes. Je ne peux rester silencieux face à cette publication que j'ai vue sur Facebook très récemment, d'un jeune homme de mon âge, que je connais bien car nous avons un tas d'amis en commun, qui a parlé du mal dont il souffre, de schizophrénie. Il a eu le courage de le faire et c'est tout sauf un sujet simple. Je lui souhaite le meilleur et une vie aussi paisible que possible car, ce mal ne partira pas et il devra vivre avec. Je ne peux rester silencieux face à la récente mort de ce jeune homme au Nigéria qui semblerait-il, aurait décidé d'en finir car il se battait depuis près de sept ans contre la dépression. Un jeune homme qui sur les réseaux sociaux était plein de vie, aimé et admiré. Il a décidé d'en finir car il n'en pouvait plus. L'avons-nous écouté? Avons-nous manqué les signes qu'il envoyait? Je n'ai pas la réponse, je n'ai que des regrets pour cette vie brisée si tôt. Je ne peux rester silencieux face à tout ce mal. Et vous ne devez pas non plus.


Aussi simpliste que cela peut sembler, nous devons collectivement briser le tabou de la santé mentale, chez nous en Afrique, dans notre communauté Noire. Ce n'est pas le fardeau des autres, ce n'est pas une maladie de Blancs. Anxiété, dépression... rien n'est à négliger. Rien. Ne laissons pas la gangrène s'installer et attaquons le problème de front, tant qu'il est encore temps. Nous vivons dans un monde de plus en plus difficile: insécurité, guerres, famine, exodes forcés, pandémie, perte d'emploi et précarité qui s'ensuit. Sans compter les maux très souvent silencieux mais tellement destructeurs: les viols, l'inceste, les sévices sexuels de toutes sortes très souvent dans le cadre familial, les violences conjugales, la perte d'êtres chers, la perte d'un bébé et j'en passe... Tout ceci peut avoir des conséquences extrêmes sur la santé mentale. Nous devons en être conscients et faire aujourd'hui mieux qu'hier, et moins bien que demain.


A tous ceux qui liront ceci et qui peut-être se retrouveront dans ce texte, je vous souhaite de meilleurs lendemains. Je vous souhaite de trouver la paix que vous recherchez, tant qu'il est possible de l'atteindre. Je vous souhaite la sérénité et une vie meilleure avec des combats moins épuisants et qui n'auront pas raison de vous. De près ou de loin, je vous adresse mon soutien. Ce texte je l'espère n'est qu'un début d'un engagement plus fort en ce qui concerne ce sujet. J'espère qu'il vous aura apporté un peu de positivité.


Quelques références

1- Le défi des maladies mentales, Lansana Gberie

2 - La santé mentale reste taboue dans l'agenda du développement Africain, Marie-Alix de Putter, Carl Manlan

3- Le déni des maladies mentales en Afrique, Jacques Deveaux

4- Association of Psychiatrist of Nigeria

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