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C'est l'histoire de Nahel...


C’est l’histoire de Nahel. Un adolescent qui est sorti de chez lui un matin, disant au revoir à sa famille, un matin comme les autres. Un matin ordinaire. Un au revoir comme ils s’en sont tant et tant de fois dits. Le dernier. Mais il ne le savait pas et sa famille non plus. C’est l’histoire de Nahel, un petit garçon, un enfant qui est parti de chez lui et ne reviendra plus car tombé sous les coups de balles d’un policier, au détour d’un contrôle qui aurait pu avoir une fin toute autre, une fin moins tragique. C’est l’histoire de Nahel qui aujourd’hui n’est plus et qui à 17 ans, ce matin-là, pensait qu’il avait la vie devant lui.


Nous connaissons tristement Nahel aujourd’hui car il est impossible de ne pas savoir ce qui se passe en France depuis une semaine environ. Un contrôle de police comme il y en a tant, et qui se termine fatalement. Celui-ci est heureusement filmé. Je dis heureusement car n’eut-été les vidéos qu’on a pu voir, nous aurions probablement été servis une version totalement factice qui aurait dépeint le jeune Nahel et ses amis comme étant des monstres armés qui auraient tenté de mettre fin à la vie des personnes en face d’eux, policiers, armés et détenteurs de l’autorité publique.


C’est l’histoire d’un contrôle comme il y en a tant, dans les rues de Paris et d’Île-de France mais pas que, dans les rues de France tout court. C’est un contrôle de plus au faciès, tellement banalisé aujourd’hui que plus rien ne surprend quand il arrive. C’est le contraire qui est presque étonnant. C’est un contrôle bien dirigé, orienté vers une partie spécifique de la population, noire et maghrébine, les coupables parfaits. Les coupables qui serviraient à remplir des quotas et à montrer l’efficacité d’une certaine branche de l’autorité.


C’est l’histoire finalement banale de jeunes de banlieues défavorisées, qui marchent avec des cibles dans le dos et même sur le front, qui se font contrôler à un taux bien plus élevé que les jeunes issus de quartiers huppés, si tant est que ces derniers se fassent jamais contrôler. C’est une histoire banale, banale par sa régularité donc qui a perdu de sa singularité. Banale par le simple fait qu’elle n’intéresse vraiment qu’une frange de la population, celle qui la subit, directement, dont les familles en sont affectées telle que celle de Nahel qui ne reverra plus son fils revenir à la maison, leur sourire, qui ne dînera plus avec les siens, qui n’ira plus se payer un burger frites avec ses amis, qui ne s’assiéra plus sur les bancs publics de son quartier pour passer du temps avec ceux qu’il aimait et qui le lui rendaient bien.


C’est l’histoire banale d’un contrôle banal pour une certaine frange de la police, qui voit en ces jeunes des raisons d’exercer une autorité souvent mal placée, souvent démesurée, qui conduit à des drames comme celui de Nahel. La banalité est normalisée, les jeunes sont coupables, peu importe ce qu’ils vont faire, ce qu’ils vont dire. Ils sont coupables. Ils sont nés dans la mauvaise peau, dans le mauvais corps. Ils viennent des mauvaises familles, des mauvaises régions géographiques. Ils sont immigrés ou descendants d’immigrés. Première ou deuxième génération, peu importe. Ils le sont et le resteront. Ne leur demande t’on pas à chaque fois que l’occasion est donnée, d’où ils viennent? Peu importe qu’ils soient nés en France de parents certes, peut-être immigrés, mais français et donc, eux aussi, français, d’où viennent-ils? La présomption est forte, la présomption est présente: ils ne sont pas vraiment français, du moins, pas comme les autres, les bons, ceux dont l’origine ne peut être qu’une évidence. Ils n’ont pas les cheveux blonds, bruns ou roux, les yeux clairs, et une peau qui n’a aucun lien avec la mélanine. Ils sont mal nés. Tant pis pour eux.


C’est l’histoire banale de jeunes de cités. De cités. Le terme a une importance capitale car à « cité », est attachée « banlieue pauvre ou défavorisé », « quartier difficile », « zone de non droit » et j’en passe. Une fois de plus, la présomption de culpabilité s’installe. Elle l’a fait insidieusement au fil des années. Personne ne peut le nier. Cité. Personne ne veut y habiter. Personne ne souhaite y rester. On y est par fatalité, par défaut, par naissance. Et on n’en sort souvent pas. On y survit. Il s’y passe un nombre incroyable de choses, des bonnes et des mauvaises, comme partout. On y vit, on s’y amuse, on y grandit, on y perd son innocence et on tombe souvent, malheureusement trop souvent, dans des chemins qu’il aurait mieux fallu éviter. C’est devenu banal car le schéma est bien défini et on ne s’en démarque pas ou bien difficilement. Le déterminisme y prend tout son sens. On est né là, on vivra là, on mourra là. Et surtout, on sera un coupable idéal pour les autres, ceux qui n’en savent rien ou qui ne savent que ce qu’ils en voient à la télé, lisent dans les journaux, et décident volontairement d’être aveuglés par des médias qui ont déterminé que les coupables sont ces gens de cité, qui détruisent tout, détruisent la France, ternissent son image, ne respectent pas son croissant, sa baguette, son vin et son fromage.


C’est l’histoire banale de jeunes de cités, immigrés ou descendants d’immigrés, qui ont le malheur de de vêtir en jogging, sweat à capuche, portent des baskets de marque, ont une casquette, à l’endroit et souvent à l’envers. C’est du style. C’est leur style. C’est tendance. Mais c’est malheureusement l’emblème qui dessine sur eux la grande cible qu’on ne peut pas manquer de voir. Nadine n’a t’elle pas dit, il y a environ une douzaine d’années - et je paraphrase à peine - qu’elle préférait ne pas voir des jeunes habillés comme ça, qu’ils ne parlent pas verlan, et avec la casquette à l’envers? Nos talentueux Sexion d’Assaut peuvent dire merci à Nadine, cette élue de Toul, petite commune de Lorraine, qui leur a permis d’avoir un de leurs plus gros hits. Comme diraient les anglosaxons, « The joke’s on you Nadine ». Si seulement ce n’était pas aussi grave qu’une élue de la République fasse une sortie pareille, on en rirait presque. Mais Nadine de Toul, n’est pas à une bourde près, à une phrase déplacée et sordide près, celle qui n’a d’ailleurs pas une seule goutte de sang raciste dans ses veines car, comme elle l’a dit si haut et si fort sur les plateaux, sa meilleure amie est noire, plus noire que noire, est tchadienne. Ah Nadine! Si ta meilleure amie est tchadienne et noire, tu ne peux sûrement pas être raciste. Cela ne se peut. The joke is really on you Nadine.


C’est l’histoire donc banale de jeunes de cités, apparemment français de seconde zone car descendants d’immigrés, qui vivent dans les mauvais quartiers et s’habillent comme il ne faut pas. Ce sont des racailles. Le terme est lancé. Il est aussi banalisé que tout le reste et a la connotation qui lui est volontairement donnée. Ils sont des racailles, des mauvaises personnes, des ennemis de la République (plus d’un élu ayant fait ce type de sortie), des gens à cantonner dans leur boui-boui, à qui les moyens ne sont pas donnés de sortir de leur marasme, qu’il s’agisse du système éducatif, aux loisirs que les enfants qui y grandissent peuvent connaître. Ce sont des racailles qui mènent la vie dure à tout le monde, surtout aux autorités. Il faut les mater mais surtout pas mettre en place des actions concrètes pour les sortir de cette misère émotionnelle qu’on a créée chez eux au fil des années. Il ne faut surtout pas parler des raisons pour lesquelles on en est arrivés là, décennie après décennie, parti politique après un autre, gauche comme droite, tous ayant manqué à ce qui aurait été primordial et sacré: ne pas ghettoiser, donner des moyens, favoriser un sentiment d’appartenance, travailler à un système plus inclusif et diversifié, inciter sur l’acceptation de l’autre qui certes ne nous ressemble pas physiquement mais est un membre contributeur de la société, ne pas stigmatiser au fil des années et des informations à profusion avec des mots insultants, déshumanisants. Cité, immigré, racaille, le parfait champ lexical de tout ce qui ne correspond pas à la bonne France, celle du croissant, de la baguette, du vin et du fromage. C’est tellement banal qu’un ancien ministre ayant plus tard accédé aux plus hautes fonctions, a promis de nettoyer tout ça au Karcher. Le Karcher. Je vous laisse vous faire une idée en vous documentant si vous ne saviez pas, à quoi il sert. A nettoyer de la saleté profonde, bien installée et qui perdure, donne du fil à retordre. Le Karcher servirait donc à nettoyer aussi ces moins qu’humains qui ne représenteraient de que de la saleté. Banalisation, encore et toujours.

C’est l’histoire banale de cette fameuse expression, « deux poids deux mesures », qui fait que Nahel est automatiquement coupable, peu importe ce qu’il a fait mais surtout, ce qu’il n’a pas fait. Il est coupable. Il est jeune, issu de l’immigration, vit dans une cité de banlieue, a le malheur de conduire une voiture, (comment peut-il), et a le toupet de ne pas obtempérer face à deux policiers, qui pointeraient sur ses amis et lui, des armes à feu. Mais il n’a surtout pas le droit de paniquer car c’est connu, à 17 ans, on est entrainé pour garder son sang-froid lorsqu’une arme mortelle est pointée vers nous. Qui de nous, qui de vous, n’a pas reçu cet entrainement intensif, qui permet de garder son calme face à une pression mortelle? Ah! C’est l’histoire aujourd’hui banale pour une large, trop large frange de la population qui a décidé que Nahel était coupable et méritait de mourir car c’est bien connu, la sentence pour refus d’obtempérer, c’est la mort. Immédiate, directe et sans détour. C’est surtout l’histoire banale d’une France qui traite une partie de ses citoyens comme des criminels pour les actes les plus banals, et une autre à qui on trouve des excuses, des justifications, qui ont droit à un angélisme car, blancs. C’est ce comédien blanc célèbre, Pierre, qui aurait causé un accident grave car sous l’effet de stupéfiants, mais qui à ce jour n’a pas encore de répercussions sévères pour son acte grave. Mieux, il est en vie, et sa vie continue. Il peut sortir, aller s’amuser, faire ce qu’il veut. Nahel lui, est mort pour bien moins que ça. C’est le fils Thibault, d’un des plus tristement célèbres artisans de la haine et de la division en France, qui aurait causé un accident grave car conduisait apparement en état d’ivresse. Il est en vie. Nahel est mort pour moins que ça. C’est le fils de Nadine de Toul, qui serait soupçonné d’un délit de fuite et ce après un accident de la route, apparemment sous l’emprise de stupéfiants. Grégoire, pour ne pas le citer, est encore actif sur les réseaux sociaux et partage les bouts de sa vie. Celle de Nahel s’est arrêtée, pour moins que ça. C’est banal vous me direz. En tout cas, ça en a tout l’air.

C’est l’histoire de la banalisation d’une haine, qui n’est plus insidieuse mais bien présente, qui ne se cache plus, qui a été libérée par les réseaux sociaux et qui a démocratisé la parole vile et sale. Les réactions sont manichéennes: d’un côté, l’empathie pour la jeune victime et sa famille, de l’autre, la satisfaction crasse et la réjouissance face à une mort prématurée, qui aurait de mille façons pu être évitée. Avec des si, on referait le monde. Je vous laisse user de votre bon sens pour imaginer comment ce drame aurait pu ne pas arriver, n’aurait pas dû se produire. C’est la satisfaction banale de voir un jeune de cité, donc racaille, mourir, et de porter aux nues un policier qui aurait pu éviter de tirer à bout portant sur ce petit garçon. C’est de manière plus dégoûtante, la forte mobilisation en quelques jours, financière, pour soutenir le policier en question, dont une cagnotte lancée a pu réunir en ces quelques jours, près d’un million d’euros. Peut-être plus, à l’heure où j’écris ceci. C’est d’une banalisation morbide, qui met un prix sur la vie de nos enfants, qui peuvent être tués à l’envi, et ceux qui leur auront ôté la vie pourront être récompensés. En dehors du caractère banalement raciste de tout ceci, je pointe ici l’absence totale d’humanité dont un nombre incalculable de personnes que nous côtoyons tous les jours, fait preuve. Nahel n’est qu’une racaille de plus qui est morte, on ne va pas se cacher de s’en réjouir alors, célébrons et récompensons celui qui lui a ôté la vie à hauteur d’un million d’euros.


C’est l’histoire banale de jeunes de cités donc, des racailles, qui pour certains n’ont pas la chance de filmer leurs interactions avec une certaine frange de la police (je souhaite à dessein utiliser le terme frange de la police et ne pas mettre tous les officiers de police dans le même sac car, je ne pense pas qu’ils le soient tous. Malheureusement, les plus mauvais terniront toujours l’image de ceux qui prennent leur métier plus au sérieux, qui respectent leur serment et qui protègent les populations peu importe d’où elles viennent, qui qu’elles soient et ce à quoi elles ressemblent. Ces officiers là qui ont du respect pour les citoyens) qui peut donc dire ce qu’elle veut, qui peut donner un récit qui lui est propre de la rencontre avec le jeune en question. Qui pourrait donner autant d’éléments incriminants, comme elle veut, sans que cela ne soit mis en doute car, comment pourrait-on mettre en doute sa parole? L’utilité de la vidéo n’est plus à discuter, celle-là même qui avait été remise en question il y a quelque temps lors de manifestations où la brutalité de certains policiers avait été mise en cause.

C’est l’histoire banale de mères et pères, qui sont obligés d’avoir des discours spécifiques vis-à-vis de leurs garçons adolescents, qui sont vus comme des cibles. Qui leur demandent de bien se tenir, de ne pas faire de bruit, d’être plus que polis. Qui s’inquiètent à chaque fois qu’ils sortent de la maison, vêtus d’un sweat à capuche, d’un jogging et d’une paire de baskets. C’est l’histoire banale d’adolescents noirs ou maghrébins, qui se font contrôler et fouiller sur un terrain de basket ou au retour d’un entrainement, à la sortie d’un fast-food, au retour de l’école, mais qui voient en face qu’il n’est rien demandé à leurs camarades et amis blancs. C’est triste. Mais c’est banal.


Ce qui n’est pas banal c’est la douleur de la maman de Nahel qui a perdu son fils unique. Sa raison de vivre. Il ne reviendra plus. Comme elle a dit, il ne lui dira plus qu’il l’aime. Elle ne lui donnera plus 20 euros pour aller dans un fast-food avec ses amis. Elle ne dinera plus avec lui, ne passera plus des moments câlins avec son fils qui aimait lui en faire. Elle ne lui demandera plus de ranger sa chambre, de débarrasser la table après diner. Elle ne sortira plus avec lui, ne le verra plus le matin au réveil et ne lui fera plus un bisou avant d’aller travailler. On dit qu’avoir un enfant, c’est avoir son coeur hors de son corps. Le sien lui a été enlevé. Il s’est arrêté de battre. Et ceci n’a rien de banal. Nous retournerons tous à notre quotidien car l’effervescence tombera. Tout finit par passer et le cycle de l’actualité en continu prendra le dessus. Nous passerons à autre chose car c’est la vie. La maman de Nahel ne connaitra pas cette quiétude de se soucier d’autre chose que du bien-être de son fils car, Nahel n’est plus. Et cela n’a rien de banal.

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