top of page

Combien de morts nous faudra t-il?


Ana, Aminata, Paule, Claudine, Georgette, Stéphanie, Marie-Ange, Leonarda, Camille, Sandrine, Paulette, Eva, Linda, Fanta, Mariama, Fatou, Cassandre, Séraphine, Malika, Hapsatou, et bien d’autres. Certaines ont existé, et d’autres probablement. Dans tous les cas, elles sont aujourd’hui mortes. Mortes. Elles auraient pu et auraient dû continuer à vivre la vie qu’elles méritaient, celle qui était la leur, et qui leur a été arrachée au nom de raisons toutes plus sordides et macabres, les unes que les autres. Ces prénoms, nous les avons déjà entendu, et bien d’autres également. Nous avons déjà fait l’expérience proche ou lointaine, d’une femme qui meurt sous les coups de son mari, de son amant, d’un ex amoureux qui a du mal à laisser partir ce qu’il considère comme sa chose, d’un frère ou d’un père, qui ne voit en une soeur ou une fille, qu’un objet dont on peut disposer à sa guise, et dont la vie n’a autant de valeur que celle d’un nuisible qui n’aurait pas compris qu’il n’est pas le bienvenu dans notre domicile.


Valérie, Marthe, Khadjidja, ne demandaient qu’à vivre, à oublier un passé qui ayant bien commencé, s’est vite transformé en un cauchemar dont tous les jours elles souhaitaient se réveiller. Elles ont fait l’expérience de rencontres volontaires ou conditionnées par le destin, qui n’a montré envers elles aucune sorte de clémence. Ce sont aujourd’hui des âmes perdues, envolées, laissant derrière elles des meurtriers n’ayant aucune notion du regret, et des familles, des êtres chers, des compagnons de vie, amis et autres, dans une peine indescriptible car, seuls les vivants vivent ce mal et cette douleur indescriptible que procure la mort, le deuil prématuré ou non, les morts étant plongés dans un repos insouciant et dont ils ne sortiront plus jamais. Alors, oui, il s’agit aussi de la douleur de ceux et celles qui restent.

Crédit photo: Le Robert


Sandra, Pamela, Odile, sont nos mères, nos soeurs, nos amies, et tous les qualificatifs d’affection qui nous lient à elles. On les connait tous. On les a toutes connues. Elles ne sont plus aujourd’hui, car victimes de féminicides.


Le mot est tombé. J’avais besoin de l’introduire mais pour cela, les images de ces femmes devaient s’installer dans mon esprit, dans le vôtre. Elles devaient être réelles, concrètes, exister. Sinon comment se sentir concerné par ce qui est loin de nous et n’existe pas? Nous connaissons tous au moins une femme qui porte un de ces prénoms, et elles aussi sont de potentielles victimes en devenir. Féminicide. Le mot sonne fort, il est bizarre, souvent incompréhensible car nouveau (en tout cas pour certains), comme de nombreux mots qui font leur apparition dans notre jargon moderne. Il est original mais d’une triste originalité. C’est un mot dont on se serait bien passé de l’existence, si ce qu’il décrit n’avait pas à arriver, et à arriver si souvent. Féminicide. Il faut s’en imprégner. Ne pas le mettre sur le côté tel un ouvrage qu’on a acheté et qu’on se promet de lire sans jamais au final en toucher une seule page. Il est important. Il est crucial même de le mettre au centre de nos conversations. Féminicide. Il faut le scander. Que l’on soit une femme ou un homme. Encore plus quand on est un homme. Il faut le crier et décrier ce qu’il représente. La mort. Féminicide.


A ce stade, peut-être certains se posent encore la question de savoir de quoi il s’agit. Le Larousse le définit comme le meurtre d’une femme ou d’une jeune fille en raison de son appartenance au sexe féminin. Il rajoute qu’il s’agit d’un crime sexiste. Ce ne sont pas mes mots, ce sont ceux d’experts qui ont planché sur la question. Prenez le pour argent comptant. Ou pas, si vous souhaitez continuer avec des oeillères. Il faut insister tel que le disent encore des experts, sur le caractère genré de l’acte, mais aussi sur les motivations. Le mot aurait été popularisé par des auteures, Jill Radford et Diana Russell, dans un ouvrage publié en 1992, « L’aspect politique du meurtre des femmes » et de son titre original, « Femicide, the Polictics of Woman Killing » (source, Le Monde / Les Décodeurs). Ouvrage que l’on devrait tous avoir, mais pas que. Pour aller plus loin dans une nécessaire compréhension de ce terme qui s’apparente à d’autres, déjà plus anciens et socialement (voire juridiquement) reconnus tels que l’homicide, le parricide, l’infanticide, il faut pouvoir distinguer les types de féminicides.


L’Organisation Mondiale de la Santé en reconnait plusieurs types. Il peut être « intime » et dans ce cas, commis par un amant, un époux ou un un petit ami, pour diverses raisons. Il peut ensuite s’agir d’un féminicide sur la base de « l’honneur », ce qui arrive dans ce cas, au sein de la cellule familiale. L’acte souvent posé par un membre masculin de sa famille, frère, cousin, peut aussi dans certaines instances, l’être par un membre féminin de celle-ci. Il ne s’agit donc pas de manière absolue d’un acte uniquement posé par les hommes, même si ces derniers sont de bien loin, majoritaires. Cette précision je le pense, est nécessaire pour des raisons d’honnêteté intellectuelle, mais surtout pas pour un quelconque amoindrissement de la responsabilité des hommes qui le perpétuent. Que cela soit clair.


Il peut par la suite être lié à « la dot ». Il y a ici un aspect culturel non négligeable, car ce type de féminicide se trouvera dans des régions ou des pays où la dot est encore activement pratiquée (ce qui en fait un certain nombre quand on y pense). Il peut s’agir d’un acte causé par la belle-famille, les raisons, une fois de plus morbides et sordides, sont variées. En 2006, le National Crimes Records Bureau en Inde, mentionnait au moins 7600 décès liés à la dot dans le pays. Oui, vous avez bien lu. 7600. Souvent parce que la dot est jugée insuffisante et cela peut être vu comme une insulte. Les chiffres seraient d’ailleurs sous-estimés, pour des raisons j’imagine, de manque ou de difficulté de dénonciation, mais aussi de suivi. Continuons. l’OMS mentionne également le féminicide « non intime ». Il s’agit ici de criminels (j’utilise volontairement le mot qui je le pense, est adapté), qui n’ont ni lien de famille, ni lien intime avec la victime, mais qui lors d’agressions sexuelles tel que c’est souvent le cas, prennent la vie de ces femmes. Cela fait donc souvent suite à un viol, et débouche sur une double peine pour la victime: la violente agression et intrusion dans son intimité, et la perte de sa vie. D’autres types sont également évoqués: le décès à la suite de mutilation génitale, suite à un foeticide, des assassinats ciblés notamment lors de conflits armés, etc. Il en existe beaucoup. Beaucoup trop.


A ce stade, avons-nous toujours en tête, gravées, les images de Sonia, de Myriam, de Katousha, de Cindy, de Maria? Je l’espère. Quoi qu’il en soit, il est important de donner un peu plus d’exemples concrets sur lesquels je suis tombé au cours de mes lectures et qui m’ont effaré.


Les chiffres sont cruels. Partout. Ils le sont. En France, on décompte 113 en 2021, 102 en 2020, 146 en 2019, 118 en 2018 (LCI). Au moment où je faisais mes recherches pour cet article (il y a un mois environ donc dans les premiers jours de janvier), il y en avait déjà 2. Le 18 janvier, il y en avait déjà au moins 7. Celui de ce jour-là était le meurtre d’une femme de 20 ans, égorgée par son ex-compagnon. Je continue. L’Italie en comptait 116 en 2021. L’Allemagne 189 en 2017 (France Inter). Le Cameroun, plus de 130 entre 2019 et 2020 selon la Commission des Droits de l’Homme et des Libertés du Cameroun. On a tous été j’ose le croire, horrifiés par le nombre en Côte d’Ivoire: 416 entre 2019 et 2020 (France Info, La Croix). Vous voudrez bien me pardonner si je ne suis pas à cent pour cent sûr qu’il s’agit d’un nombre uniquement sur 2020, ou glissant sur les deux années. On dénombrait en tout cas, seulement dans la commune d’Abobo, 125 cas, (Le Média Citoyen). Deux activistes, Sylvia Apata et Ramatoulaye Traoré, dans une interview, reviennent d’ailleurs sur les types de féminicides que j’ai mentionnés plus haut, et leur travail qui est à féliciter et à encourager, aide à la dénonciation mais aussi à l’éveil des consciences sur ce sujet. Il y a encore énormément à faire.


Dans le monde, on dénombrait 43.600 femmes, assassinées en 2012, selon le rapport « Combating Violence Against Women » de l’OSCE, Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe. En comparaison, et toujours selon ce rapport, le conflit syrien a fait 40.000 morts dans es 20 premiers mois. Donc, un conflit armé, une guerre (non nécessaire, cela va sans dire), aurait fait moins de morts sur un laps de temps plus long, que les féminicides en un an. Pour ne rien arranger, l’ONU Femmes mentionnait 50.000 victimes en 2017. 50.000. Plus près de nous, dans ces 50.000, on compte 19.000 cas pour l’Afrique, qui est 2e après l’Asie (20.000). 8000 cas en Amérique, 3000 en Europe, 300 en Océanie.


Je vais terminer en mentionnant le meurtre et le viol de Bineta Camar, cette jeune femme au Sénégal, partie trop tôt en 2019, à 23 ans. Je souhaite aussi que vous gardiez l’image d’Aminata Kâ, 22 ans, jeune femme sénégalaise, enceinte et tuée par son mari car elle ne lui avait pas fait à manger, après être rentrée de l’hôpital, suite à des examens médicaux. Pensez aussi à Charlotte, cette jeune femme de 20 ans de Besançon qui a été égorgée par son ex-compagnon. Le prénom est imaginaire dans ce cas, mais l’histoire, tristement réelle. Pensez, pensons à elles toutes.


Il y a clairement beaucoup à dire sur ce sujet. Je souhaite qu’il soit plus au centre de nos conversations car il ne l’est actuellement pas. Demandez vous de manière honnête, la dernière fois que vous l’avez évoqué, avec votre entourage, que vous soyez un homme ou une femme. Nous devons tous nous y intéresser. Mais pas que. Nous devons aussi nous éduquer, et éduquer nos garçons qui demain deviendront des hommes. Il faut leur apprendre la sacralisation d’une vie. L’acceptation du refus et du rejet. Leur faire comprendre qu’une femme ne leur appartient pas et ne leur appartiendra jamais car nul n’est la propriété personnelle de quiconque. Les chemins se croisent mais peuvent aussi se séparer et cela nous devons tous l’accepter. Nos sociétés créent des monstres qui sont incontrôlables et devant lesquels nous finissons par fuir nos responsabilités. N’avons-nous pas déjà entendu, les feintes surprises du type: « Comment a-t-il pu faire ça? Je n’aurais jamais imaginé ça venant de lui », lorsqu’on sait que la personne évoquant ces mots, mauvais acteur ou actrice, a été au centre de l’éducation ratée d’un tel ou d’un tel. Il faut que cela cesse. Il faut que cela change. Gardons à l’esprit que le drame qui aujourd’hui est lointain car ne nous affecte pas directement, peut demain être au sein de notre cercle, familial ou amical.


Il faut aussi que la réponse légale et judiciaire soit plus forte. Malheureusement, le terme et donc l’acte, ne jouissent pas d’une insertion dans le Code Pénal de nombreux pays, la France n’en est pas exempte. C’est dire à quel point un travail de fond doit continuer à être fait. Par les associations, les intellectuels, la cellule familiale, éducative, la société dans son ensemble. Si à la suite de nombreux drames, on entend toujours les autorités et pays et d’autres décrier ce qui n’aurait jamais dû arriver, on est alors en droit de s’étonner de la lenteur à mettre en place une réponse judiciaire solide et efficace. Pour ne pas les citer, les élus Français pourraient par exemple plancher plus sérieusement sur la question, au lieu de voter des lois contre le port du voile pour la pratique sportive. J’y vois personnellement un manque cruel de priorités. Quand on sait que dans ce même pays, la protection des femmes face aux violences domestiques, aboutissant très souvent à des meurtres, est tellement erronée que de nombreuses victimes ne prennent même plus le temps de porter plainte car, à quoi bon? Quand on additionne, le manque de considération de plusieurs autorités, la culpabilisation des victimes, la lenteur judiciaire, les peines légères et à peine effectuées, la remise en liberté de futurs assassins sans qu’au préalable aient été prévenues leurs victimes, alors, on ne peut pas véritablement s’étonner du manque de confiance que nombreuses ont face à un système qui les abandonne. Cela pourrait s’appliquer à des dizaines de pays dans ce monde. Tristement. Il faut agir.


Alors, pensons à Ana, Aminata, Paule, Claudine, Georgette, Stéphanie, Marie-Ange, Leonarda, Camille, Sandrine, Paulette, Eva, Linda, Fanta, Mariama, Fatou, Cassandre, Séraphine, Malika, Hapsatou, et bien d’autres. Toutes celles qui ont été et ne sont plus.



112 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Non, nos mamans n’étaient pas heureuses...

Nous sommes en janvier 2023, et je pense que ceux qui me lisent (messieurs, cet article est fait pour vous même s’il est évident que je souhaite que tout le monde se penche dessus), ont une moyenne d’

Post: Blog2_Post
bottom of page